p o è m e s



Petits poèmes inutiles
aux progrès de notre temps

(extraits)

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  • Rue Saint-Séverin
  • L'évolution des moeurs
  • Le souvenir
  • A corsica
  • Insaisissable beauté
  • Votre heure
  • Paris-Pékin
  • Vivre
  • La gueule de l'emploi

Noires sont mes amours

(extraits)

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  • La danse du masque de l'univers
  • Les passagers
  • Quatrain de la persistance
  • Les galériennes
  • Tanka du visage parfait

Dakar

(extraits)

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  • Car rapide
  • Sagesse
  • L'aveugle
  • Fête musulmane
  • Absence de l'aimée


Petits poèmes inutiles
aux progrès de notre temps


RUE SAINT-SÉVERIN

Dans notre siècle vouté
La musique d'un autre temps
Le souvenir roman
D'un architecte aveugle
Bâtisseur de caves -
Et nos rèves morcelés
Par d'étranges lumières
Qui nous égarent
Dans la nuit

Mai 1981



L'ÉVOLUTION DES MOEURS

D'homme à homme
Une femme à femmes
Me parlait d'une femme à hommes
Et d'un homme à femmes:
Le bonhomme était infâme
et la bonne femme était un homme!

Mai 1983



LE SOUVENIR

A Pâques
En Terre d'Argonne
Le printemps ressemble à l'hivers.
C'est alors que
Chaque soir
Ignorant l'heure
Derrière les volets fermés
La dentelle des vitres
On écoute -silencieux-
Le pas de l'homme incongru
Au destin sans partage
Qu'il nous faut plaindre
Ou maudire.

Novembre 1983



A CORSICA

Dans la nuit des oliviers
Pas un grillon ne chantait
Le vent pour moi
Ouvrait ses portes
Sous la lune ronde
Joyaux tyranique
D'une mer blanche
Peut-être furieuse
Peut-être morte.

Juillet 84



INSAISISSABLE BEAUTÉ

Celle qui venait d'Asie
La plus petite la plus belle
D'entre toutes
Me montrait un soir
Un perroquet flamboyant
â son bras nu
Oiseau d'une légende oubliée
Dont nous étions les héros
Fugitifs.

Avril-Mai 1987



VOTRE HEURE NE SERA JAMAIS LA NOTRE

La vie le malheur la joie de t'aimer
Quand rien ne bouge et que nous sommes déjà loins
Ensemble - tu le sais! - aux fêtes de la nuit
Maudissant le jour des morts qui se lèvent et se couchent
Pour le plus grand bien de l'Occident - vainqueur
Des esprits affolés, grand maître de l'ennui ! jaloux
De nos destins rebelles - ô mon étrangère ma liberté !
Je te promets un enfant heureux d'être un homme.

Début 1989



PARIS-PÉKIN

Un chinois rue de Rennes à Paris joue de l'harmonica vers trois
heures du matin. Il marche il est seul il ne se demande pas si la
Terre est ronde il joue de l'harmonica tout seul à Paris une nuit.
Mais la Terre est ronde même quand on n'y pense pas et de l'autre
côté de la Terre on voit des chinois qui ne jouent pas de
l'harmonica qui ont du mal à marcher parce qu'ils ne sont pas
seuls entourés de chars et ces instruments là ne jouent rien de
bon voilà pourquoi Paris désert est une belle ville la nuit.

Octobre 90



VIVRE

Beauté du regard qui s'ennuie
Une coupe de champagne à la main
Trop de soleils brûlent toute lumière
L'ombre souffle ses bougies
La mort fête son anniversaire
Beauté du regard qui s'ennuie
Vivre encore vivre demain.

Octobre 1990



LA GUEULE DE L'EMPLOI

Au cinéma du boulevard de Strasbourg
Qui nous bave deux films d'horreur
Pour le prix d'un
La vision la plus gratuite
Et la plus effrayante
Reste sans nul doute
L'apparition de la caissière.

22 Août 1992



MISANTHROPIE DARWINIENNE

Un jour en Afrique
Une espèce de singe
Fort mal avisé
A voulu voir plus loin
Que le bout de son arbre
Il s'est dressé
Sur ses pattes arrières
Comme ça, sans réfléchir,
Pour connaître du pays
Il s'est mis en route
Levant les bras au ciel
Lançant des cris de joie.

Quel con!

Et me voici
Quelques millions d'années
Plus tard
Au bord de mon lit
Les bras ballants
A me demander
Si je ne serais pas mieux
Dans un arbre
A me goinfrer de bananes
A jouer avec de jeunes
Femelles en chaleur
A me rouler dans l'herbe
En prenant mon pied
Pour ce qu'il est
Plutôt que…
Plutôt que tout ce que vous savez:
Un monde d'Homo Sapiens
Croyant déjà mériter
Le nom d'Hommes
Parce qu'ils se sont inventés
Des dieux.

Juin 2003


Noires sont mes amours


LA DANSE DU MASQUE DE L'UNIVERS

Rivage noir
Femme des nuits brûlantes
Où mes yeux ont des reflets de lune
Ton coeur est une étoile rouge
Qui s'en va
Qui s'en vient
Flux
Et reflux
De tes illusions nacrées
De mes rèves anciens
De notre enfance
Africaine.

Octobre 1984



LES PASSAGERS

Noire
Vétue de noir
Talons hauts
Cheveux de comète
Un fil d'argent
Pour tes oreilles
Un fil d'argent
Pour mes lèvres
Ta beauté
Garde mon silence
Noir
Vétu de blanc.

Mars 1986



QUATRAIN DE LA PERSISTANCE

Ne rève plus dis-moi comment vivre encore
Ce soir mon île aux troix parfums de l'amour
Sans ton sourire à l'horizon de ton corps
Vers quelle étoile nue irai-je sans retour?

Juillet-Août 1987



LES GALÉRIENNES

Regard secret
De l'enfant
Noire
Qui ne croit guère
Aux petits soleils de banlieue
Et murit son destin
Avec le silence la fièvre
Des esclaves de l'ennui
Déchirant l'horizon
 coups de dents
Crachant le bien le mal
Au masque muet
De la terre
Qui découvre son corps
Par surprise
Avec l'inquiétude d'une fleur
En sa première floraison
Qui guette le temps
Des pieds nus
Au sortir d'un mauvais rève
De rap et de ciment
Qui tague les miroirs
Avec un sang de poudre et d'éther
Refusant de choisir
Entre son image
Et sa liberté
Regard secret
De l'enfant
Noire
Et nue
En cachette
Qui se refait une beauté
En pensant à l'Afrique
En pensant à l'amour.

Mai 1992

TANKA DU VISAGE PARFAIT

Tes yeux où l'amour prend son envol
Ton nez sculpté par le Maître des Parfums
Ta bouche comme une plage
Et me dit: Qu'attends-tu de moi?
L'avenir tremble d'être ma main dans tes cheveux.

Novembre 1993



OU BIEN

Sublime maîtresse
De mon destin
Axe du cyclone
De ma vie
Tes yeux
Arrêtent ma course
Entre deux reflets de lune
J'attends la foudre
Et tes doigts sont des éclairs
Qui réchauffent ma nuit
J'attends la pluie
Et ta langue fait jaillir
Les sources de mon corps
Tu m'as choisi
Au bord du gouffre de l'absence
Au bord des larmes de glace
Quand Terre et Ciel se tournent le dos
Quand l'être se brise comme un miroir
Tu as soufflé sur la cendre
Qui étouffait mon cœur
J'ai entendu ta voix
Ta voix trop timide
Qui disait:
«Ce soir le soleil ne se couchera pas»
Ce n'était pas un rêve
L'horizon avait la forme de tes bras
Tous les parfums prenaient ton nom
Gonflaient ma poitrine
M'invitaient au voyage
Maintenant
Je ne sais plus où aller
En dehors de ton ventre
De ton sourire
Dis-moi
Comment vivre sans toi
Ou bien
Aime-moi
Aime moi plus longtemps plus fort
Plus longtemps plus fort
Que brille la dernière étoile.

Septembre 1998



LA RUSE DE GORGONE


Se mettre sur la pointe des pieds
Pour mieux voir la nuit qui danse
Avec ses talons de lune

Chercher désespérément un visage
Parmi tant d'ombres sans avenir
Crânes démasqués au petit jour

Avancer sur un fil invisible
Entre le goufre du mystère
Et l'abîme de l'ennui

C'est prendre le risque de se réveiller
Des années plus tard
Avec un bonheur de théâtre
Un amour d'infortune
Une vie à refaire

-    Le coeur et les yeux brûlés
Par une flamme noire
Que jamais nous n'aurions dû
Figer entre nos mains.

15-18 août 2006



Dakar


CAR RAPIDE

Celui qui marche à pas lents
S'anime quand il voit le car rapide
Sur son chemin il s'enfuit ou bien
Vite vite il monte par derrière
Le rabateur est content
Il frappe un grand coup sur la porte
Le car rapide roule sans frein
Vers l'accident le plus proche
Le client est satisfait
La mort n'est pas chère
Allah est grand
Il chante.



SAGESSE

Toute la journée
L'enfant épluche des citrons
D'un seul zeste.

Côte à côte
Une pile d'agrumes dénudés
Et leurs défroques vertes spirales en tas.

L'enfant peut tout vendre
Sauf le couteau.



L'AVEUGLE GUIDÉ PAR LA BEAUTÉ

Les cheveux blancs
Le boubou blanc
Le baton blanc
Annoncent l'homme Noir
Aux yeux blancs.

Mais celle qui lui tient la main
Plus Noire encore
Est un zéphyr de lumière.



FÊTE MUSULMANE

C'est Noël
Le colporteur vend des guirlandes
 ceux qui n'ont jamais vu de sapin
Le colporteur vend des ampoules colorées
 ceux qui n'ont pas encore l'électricité
C'est Noël
Tous les espoirs sont permis.



ABSENCE DE L'AIMÉE

Le prince vétu d'ors et de satins
Qui voyage loin de son royaume
Avec sa cour ses danseuses ses poètes
Qui rencontre des hommes admirables des femmes sublimes
Est moins heureux
Que celui qui peine à vivre
Mais reste auprès de son aimée.



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