40 ans, japonais, artiste multimédia, robosculpteur, diplômé de design de l'Université des Arts de Tokyo, pionnier de l'art informatique dans son pays, professeur à l'Université de Keio. | ![]() |
W//M : Masaki, depuis combien de temps utilises-tu des technologies de pointe dans ta création artistique ?
MF : Quand j'étais étudiant, je me suis intéressé à la création informatique d'images animées. J'avais constaté que la plupart des films d'animation, au cinéma, à la télé, présentent des personnages et des situations complexes, et qu'il est très difficile de dessiner à la main tout ce qui évolue sans cesse. J'ai donc appris les techniques disponibles, et j'ai essayé d'en imaginer de nouvelles. J'ai ensuite créé une société pour réaliser et vendre des images de synthèse: Frogg Inc. (la grenouille).W//M : Tu avais une formation technique ou artistique?
MF : artistique.W//M : Y a-t-il beaucoup d'artistes au Japon qui utilisent comme toi la technologie?
MF : Quelques centaines, je pense...W//M : Et des formations à ces outils nouveaux sont-elles prévues dans les universités? En France, c'est très insuffisant !
MF : Nous avons le même problème au Japon. Dans l'université dont je suis diplômé, il n'y avait aucun prof pour se servir des ordinateurs! Il se sont résolus à créer un nouveau département, mais ils ont de gros problèmes de budget. Je pense cependant qu'il y a un manque de volonté réelle.W//M : Quel est l'attention du public au Japon pour les arts électroniques?
MF : Il faut d'abord parler du sens profond du mot art. Le petit magnétophone avec lequel tu nous enregistres, un appareil photo, une chaîne HiFi, tout çà pour nous c'est de l'art! Nous ne pouvons dissocier le concept d'art de la vie quotidienne, de la création d'objets usuels. C'est une façon très positive de penser l'art.W//M : C'est une façon de penser différente de celle de l'occident d'aujourd'hui...
Dans la période Edo, on a construit "Edocity", une très belle ville pensée et conçu dans un style unique: tout ce qui était présent dans cette ville avait le style Edo, était de l'art!
Les gens ne se posaient pas la question de savoir ce qu'est l'art. Mais après cela, nous avons voulu connaître les idées européennes, et on peut dire que le concept d'art a été importé! Ce qui a conduit à des phénomènes étranges, complexes, et à certains problèmes qui agitent encore notre société.
Donc, nous pensons que la créativité intellectuelle que nous mettons dans tous les objets de la vie moderne, que nous voulons plus petits, plus rapides, moins chers, moins dépensiers en énergie, tous ces efforts et toutes ces réalisations concentrent notre pratique artistique.
MF : Je le crois bien. Les japonais n'imaginent pas que les artistes puissent inventer une chose pour elle-même. De plus, nous ne pensons pas que les artistes soient les seuls véritables "créateurs", ou les seuls à donner le bon exemple, les bonnes idées. On peut dire aussi que le concept d'art est "caché" dans notre civilisation.W//M : Tu exposes dans le monde entier; quelle est ton opinion sur l'évolution des arts électroniques ?
MF : La majorité des technologies sont développées par les techniciens pour des questions de stratégies de marché, après toutes sortes d'études sur les besoins des gens. La plupart des produits, des équipements ne sont franchement pas intéressants, mais ils permettent de réfléchir à des possibilités nouvelles.W//M : Mais le public suit-il? Ou bien les arts technologiques sont-ils un ghetto ?
Alors pourquoi ne pas tirer parti de ces techniques pour connaître le monde, pour voir le monde, pour comprendre le monde? C'est ce que je propose dans mes oeuvres. Je voudrais montrer ce qu'est notre monde.
MF : Je ne le pense pas. Je pense toujours très positivement, très "mystiquement". Il nous faut toujours réfléchir à l'avenir: c'est la seule façon de le préparer. Et j'espère que nous resterons maîtres des futurs possibles. Tous les équipements modernes devraient pouvoir être utilisés par le public, et nous aider à comprendre pourquoi nous sommes au monde!W//M : Ainsi, tu penses que les artistes ont un rôle philosophique à jouer, une activité sociale à conduire ?
MF : Aujourd'hui, je ne peux encore aboutir à cette conclusion; j'ai besoin de plus de temps, d'expériences, d'oeuvres fortes à réaliser.W//M : L'art influence l'avenir ?
MF : C'est absolument vrai !W//M : Quel est ton avis sur l'ISEA où nous sommes ?
MF : C'est un bon lieu de rencontre, de communication, de travail en réseau, de partage en temps réel! Mais je vois ici peu de travaux montrant l'avenir. J'ai été déçu par plusieurs oeuvres qui essayent d'exprimer quelque chose...qui appartient au passé! Qui refont du Cézanne ou du Picasso! Je n'ai pas vu de "nouvelles images".W//M : Quelle place accordes-tu à nos 5 sens et à notre corps dans nos disciplines ?
Depuis plus de cent ans, nous avons connu les inventions de la photo, du cinéma, de la télévision: notre époque est celle de la vue -et nous avons déjà presque tout vu; il faut inventer autre chose.
MF : Il y a 2 trajectoires possibles: retourner vers le corps en lui-même, ou bien aller vers les machines, l'environnement.W//M : Quel est ton projet actuel ? As-tu des partenaires fidèles ?
Visiter notre corps avec la science est peut-être une solution pour comprendre notre pensée, notre sens cognitif. Rejoindre le cosmos nous apprend que nous sommes plus petits que des atomes, donne la mesure de notre place. Mais si nous voulons dépasser nos limites, seule notre imagination peut nous ouvrir l'horizon.
MF : J'ai 5 ou 6 projets en route. Pour ce qui est de mes partenaires financiers, je suis chanceux. Je rencontre à l'université des entreprises intéressées par mes travaux, que je sollicite souvent avec succès.
Mon projet le plus important est le "Global Clock Project". Il s'agit de créer par le biais d'Internet une émotion semblable à celle donnée par l'image de la Terre vue des vaisseaux spatiaux des années 60 et 70. Nous avons bien ressenti à ce moment-là l'unité de notre monde.
Techniquement, nous souhaitons inviter les habitants de notre planète à installer chez eux, à l'air libre, un capteur d'intensité lumineuse connecté au Net, qui donnera l'état d'éclairement solaire à chaque instant. Ces données seront intégrées, sur le web, à une image de la Terre sous forme de rayons de longueurs variables. Ainsi nous retrouverons le principe de gnomon, qui a été celui des débuts du comptage du temps.
Cette oeuvre est pour moi d'autant plus importante qu'elle permet de revenir à la vraie philosophie d'Internet, maintenant envahi par le commerce: gratuité, échange, participation collective, "conscience globale".
En outre, le marché de l'art s'est construit sur l'idée d'appropriation, et je suis bien content de proposer une oeuvre qui n'appartiendra à personne !